(F/RESERVE) EMILY BROWNING

Il était le coup de vent d'une nuit. Les draps qui s'échauffent rien qu'un moment. L'homme qui ne devait pas perdurer. Il était le client qui l'avait abordé durant son service. L'homme qui avait réussi à le charmé ou peut-être était-ce seulement la sale journée qui l'avait rendue plus encline aux plaisirs de la chair. Ils furent les amants de quelques heures. La surprise de ses mains enserrant sa gorge sans pour autant lui faire mal. Etrange sensation qu'elle n'avait pas empêché de continuer. Il fut l'homme qui s'habilla bien vite. Sans demander son reste. Sans rien lui dire. Il fut le connard qui laissa une trainée de billets venir recouvrir les draps. Sensation de passer de femme comblée à fille de joie utilisée. Argent qui ne fut pas rendu, argent qui fut utilisé pour combler ses dettes si profondes. Elle n'aurait pas pensé le revoir. Elle n'aurait pas imaginé ses mains se refermer sur ses poignets, son corps contre le sien, cette sensation d'être prise pour une moins que rien, un simple jouet entre ses mains, une vraie putain dont les envies ne sont plus prises en compte. Elle l'a repoussée la fière. Elle l'a griffé sauvageonne à l'esprit libre. Choquée du traitement qui aurait été sien. Elle l'a agressé par ses mots, par la haine dans son regard. Elle a déchanté quand sa bouche s'est ouverte, quand les mots se sont entrechoqués à ses idées. Quand il lui a sorti la phrase qui a tout bousculé. « Pourquoi je ne te traiterais pas comme une putain ? C'est bien ce que tu es non ? Le fric ne m'a jamais été rendu. » La donzelle s'est bloquée, interdite par les mots qui venaient d'être prononcés. Et il a continué l'homme. Continuer de laisser les mots courir sur sa peau. Continuer les idées qui ne faisaient que la détériorer. Un peu, beaucoup, jusqu'à la folie. Le coup de grâce ne fut pas physique ni même moral, ce n'était que quelques mots mis à la suite les uns des autres. Une vérité qu'elle n'était pas prête à entendre. « Je ne suis pas un violeur, juste un baiseur. L'argent contre la possession de ton corps. » Elle aurait pu rebrousser chemin. Elle aurait pu lui dire d'aller se faire foutre. Elle aurait pu tout faire pour ne pas laisser la suite des choses se dérouler. Mais l'argent était son poison, l'unique bien dont elle ne pouvait se passer. Réalité qui dérangeait son être. Réalité qui infligeait les prémices des premiers changements de son âme. Elle n'est pas partie la demoiselle. Elle est restée là. Acceptant ce sort qui était devenu sien.

Entre eux, ce n'est pas beau, ce n'est pas amoureux, ce n'est pas la joie. C'est malsain, noir, aride, destructeur. C'est l'homme qui prend sans jamais demander son resté. C'est l'être qui la traite de putain sans la moindre gêne. C'est le corps qu'il possède, quand il veut, de la manière qu'il désire. C'est les marques qu'elle cache victime consentante. C'est l'être qui se résigne pour de beaux billets verts. C'est l'être qui résiste. Qui menace de tout arrêter. Qui s'enfuit si souvent. Caractère qui se rechigne à jouer la demoiselle docile. Dernier mot qu'il retrouve toujours lorsque les billets glissent entre ses doigts. L'argent est la plus dangereuse de toutes les drogues.

Entre eux, c'est vraiment une relation malsaine basée sur ce que chacun prend chez l'autre. Chez elle, le côté sadique et malsain de Luca a trouvé son compte. Une poupée avec laquelle s'amuser. Il savoure ses réticences, sa sauvagerie. Il s'en venge dans ses gestes, dans ses actions bestiales où il ne se retient pas. Il rigole de cette haine qu'il lit dans ses yeux. Elle est à lui et à personne d'autres. Elle est sa chose. Elle a accepté tout cela, pour quelques billets. Et il se plait à faire perdurer ses souffrances, à lui raconter les actes monstrueux qu'il a exercé, tout ce qui ne ferait que renforcer sa sensation de malaise. De son côté je laisse un peu plus de libertés, je préfère en parler avec la personne intéressée par le personnage. Elle peut n'y voir qu'un moyen d'avoir plus d'argent ou bien, dans le profond de son être, apprécier certains aspects de leurs arrangements. Cette sensation de ne pas être invisible. Ou encore cette possibilité de pouvoir laisser ressortir ses côtés plus sauvages qu'elle est contrainte de refréner lorsqu'elle travaille. Et en même temps, elle a ce statut différent de celui d'une femme, elle n'est pas l'amante mais la fille de joie, sensation qu'il met en avant à chacun de leurs échanges. Bref le point de vue de la demoiselle est vraiment à discuter pour arriver à un résultat malsain et en même temps déroutant et particulier.

MATTIA MASACCIO Il l’avait choisi pour sa belle gueule. Cette flamme dans son regard. Ce truc incompréhensible qui lui donnait un air irrésistible auprès de la gente masculine. Mattia avait su la dénicher et sans même interroger les raisons pour lesquelles il l’avait choisie, elle avait acceptée. Peut-être un peu trop rapidement, peut-être un peu trop appâtée par les gains sans se soucier de l’envers du décor, ni du vernis craquant en dessous duquel se trouvait une pourriture infâme.  Il l’avait vu se déhancher des centaines de fois au cœur de sa boite de nuit, il l’avait vu recevoir des mains aux fesses ou des avances un peu trop osée. Dans d’autres conditions, il aurait été celui soufflant des mots crus à son oreille, mais c’était lui le patron. Lui le maquereau s’occupant de ses juments avec un respect que peu de personnes leur offraient entre les murs de la boite. Pas parce qu’il les respectait, pas vraiment. Il ne s’abaissait juste jamais à maltraiter une femme qui ne l’avait pas mérité. Néanmoins, la petite idiote, l’Alice perdue au pays des drogués au pouvoir, a fait le mauvais calcul en laissant Luciano l’approcher. Sans le savoir, elle s’est mise à dos son patron. Un geste idiot pour cette fille lâchée au milieu des loups. Elle ne s’en était jamais rendue compte, n’avait jamais remarqué l’attention certaine que Mattia portait à ses pions, les membres de son royaume. Toutefois, maintenant qu’il cesse de la protéger de la réalité, s’amusant même à la tourmenter, elle goûte aux profondeurs de l’abysse. Elle ne comprend rien à ce revirement de situation, ne s’imagine pas la rancœur et la jalousie que le Masaccio éprouve à la voir piquer la curiosité de son oncle. Elle ne peut même pas imaginer les raisons qui l’ont rendues souffre-douleur de ce gamin à l’âme aussi noir que la nuit dans laquelle il avance. Tout ce qu’elle sait c’est que son travail est de plus en plus compliqué et qu’elle encaisse les coups à son amour propre, s’abaissant toujours plus bas au nom de ce sacrosaint argent que le démon au sourire d’ange lui tend en la faisant entrer dans cet enfer que forme son royaume.