Je ne pourrais pas vous parler de mon avenir. J'ai trente et un an, et je vis encore comme un gamin qui fuit le monde dans lequel il vit. Je ne sais même pas si je mourrais demain, si je vais simplement tout claquer et mettre fin à tout ça. Ou peut être que pour une fois, j'arriverai à faire quelque chose, et à sortir de là. De ça, cette dépendance à la cocaïne, qui sert juste de coquille à mon cœur détruit par le chagrin. Une histoire d'amour ? Non, bien sur que non. Mon histoire n'est pas aussi basique que ça. Sans oublier cette poisse qui me colle depuis ma naissance, et me rongera toute ma misérable existence.
Ma naissance, tiens. Je vais commencer par là. Je suis né un vingt-trois février à Londres. Mais qu'est-ce que je fous en Italie, vous allez me dire ? Patience, vous le saurez tôt ou tard. Je suis donc né à Londres, mon père étant un riche anglais, ma mère, d'origine pauvre, italienne. J'ai toujours cherché chaque grain de sable pour reconstituer l'histoire de mes parents. A l'origine, ma mère était la marchandise d'un gang mafieux d'Italie, c'est comme ça qu'elle s'est retrouvée en Angleterre. Elle ne m'a jamais raconté comment elle avait réussi à s'échapper, elle m'avait juste fait comprendre que ça n'avait pas d'importance, elle était là, et grâce à ça, j'étais là, moi aussi. Qu'elle avait été forte, et que je devrais l'être après. Mon père est quelqu'un de violent, une pourriture, un enflure, un alcoolique, qui passait ses journées à boire, les pieds posés sur le canapé devant sa télévision. Quand ce n'était pas moi qu'il battait, c'était ma mère. Elle me parlait beaucoup de lui, d'eux, avant ma naissance. Ma mère, après avoir réussi à échapper à la mafia, avait simplement vécu de ce qu'on lui avait appris, la prostitution. Elle me racontait à quel point cette vie là était misérable, et à quel point mon père l'avait sauvée. Elle me disait qu'il fallait que je lui pardonne d'être comme ça avec nous, que dans le fond c'était quelqu'un de formidable, et que sans lui, ni elle, ni moi de serions là, en vie, avec un toit. Je n'ai jamais compris comment l'homme qu'elle prétendait qu'il était est devenu l'homme qu'il est aujourd'hui. Je détestais mon père, du coup j'étais plus que proche de ma mère. Je l'admirais, je voulais être aussi fort qu'elle. Elle ne pleurait jamais, elle ne criait jamais, quand mon père lui éclatait le visage ou le dos avec ses poings.
Mais vous vous doutez bien qu'elle n'allait pas supporter ça toute sa vie, et moi non plus. Un jour, l'année de mes douze ans, alors que j'étais en cours, elle est venue me chercher. Pas directement en classe, non, c'était l'interphone qui m'avait convoqué au bureau du proviseur. J'étais un garçon studieux, gentil, aimable à l'époque. Je m'étais posé tout un tas de questions, mais j'y étais allé sans broncher. C'est la première fois où j'ai vu ma mère pleurer. Elle avait un œil au beurre noir, la bouche en sang, couverte d’hématomes. Quand elle m'a vu, elle s'est essuyé ses yeux remplis de larmes d'un revers de manche, et m'a tenu la main. Avec un simple sourire forcé, "Allez, on y va mon chéri". Ce jour là, j'aurais voulu la serrer dans les bras. J'aurais voulu être l'homme qu'elle n'avait plus, j'aurais voulu être sa coquille, lui arracher tous ses maux. Lui dire que je l'aimais. Qu'elle devait être forte. Que je ne la laisserais jamais tomber, que je m'occuperais d'elle. Mais j'étais un gamin, un pré-adolescent qui n'avait pas encore mué de la voix, tout maigre, du haut de mes cent-cinquante centimètres, qu'est-ce que j'aurais pu faire pour elle ? J'étais faible, j'ai attrapé sa main, et je l'ai suivie, en pleurant, en pleurant toutes les larmes de mon corps, mais en restant silencieux. Elle ne m'avait pas accordé un seul regard, ni jusque dans la voiture, ni pendant tout le trajet. Comme si me regarder allait la briser en mille morceaux. Je me demandais où on allait, ce qui s'était passé, comment on allait faire. Mon père ne lui aurait certainement rien donné pour s'en sortir. Mais je gardais ces questions pour moi, je verrais bien le moment venu.
Après quelques heures de route, cinq ou six, il me semble, la voiture s'est finalement arrêtée. J'avais pu apercevoir un panneau, "Workington". On était donc allé au nord de l'Angleterre. C'était sur, je n'allais plus avoir de nouvelles de mon père, et rien que ça me remontait un peu le moral. Elle est sortie de la voiture, silencieuse, et s'était dirigée vers le coffre pour prendre les valises, je l'avais suivie pour l'aider. Il y avait deux valises, je n'allais pas la laisser porter les deux toute seule. Et puis, toujours en silence, je l'ai suivie dans la rue, jusqu'à arriver devant une porte, délavée, rouillée. J'avais levé les yeux, une façade, dont la peinture grise était écaillée, on pouvait voir en dessous un ciment sale, les rigoles rouillées, et parfois même cassées. Ce bâtiment donnait la chair de poule. C'était vraiment là dedans, qu'on allait habiter ? Pour la première fois depuis qu'on était partis, elle m'avait regardé, esquiché un mauvais sourire et haussé les épaules. Oui, c'était là qu'on allait habiter désormais. On avait monté les escaliers, en bois, craquant sous nos pieds. J'avais l'impression que les marchent allait s'écrouler à chaque fois que j'appuyais mon pied sur l'une d'elles. L'appartement n'était pas si horrible que ça, on avait chacun notre chambre, un petit salon. C'était un peu poussiéreux et démodé, mais on pourrait arranger ça avec le temps.
Les années ont passée, j'avais quinze ans. On a jamais parlé de ce qui c'était passé avec mon père. On a instinctivement rayé notre passé, et repris à zéro. J'étais encore plus proche de ma mère que ce que je l'étais à l'époque. Je l'aimais plus que n'importe quoi. J'avais continué mes études, mais je travaillais à côté, pour l'aider a payer l'appartement, à rembourser les travaux qu'on avait dû faire. Je ne l'avais jamais vue aussi heureuse. Elle avait un métier qui lui plaisait, plus personne ne lui faisait du mal, et j'étais fort pour elle. J'étais un homme, j'avais pris du poil de ma bête, autant physiquement que mentalement. Nous étions heureux, et nous n'avions besoin de rien de plus dans notre petite bulle qu'on s'était créé à deux.
Seulement, comme je vous l'ai dis plus haut, j'ai une poisse qui me colle depuis ma naissance. Pour mes seize ans, on avait décidé de s'offrir un restaurent. Nous étions dans la voiture, rien à l'horizon. Jusqu'à ce qu'un taré arrive à contre sens, sans avoir allumé ses feux, et nous percute. Ma mère n'a pas pu dévier la trajectoire, lorsqu'elle s'en est rendue compte, il était trop tard. Je me souviens juste du choc, du mec en face qui avait sa tête encastrée dans son pare-brise. J'avais mal à la tête, mes oreilles sifflaient, je voyais flou. J'ai tourné la tête vers ma mère, je l'ai fixée, j'ai senti des larmes couler, et je me suis évanoui. C'est à l'hôpital que je me suis réveillé. Je n'avais pas tout de suite compris où j'étais, j'avais juste vraiment mal à la tête, et je n'arrivais pas la bouger. J'étais dans le gaz, et je me sentais encore pleurer. "Ce n'était qu'un mauvais rêve, tu as trop profité de l'occasion pour boire, et tu as une vilaine gueule de bois". Dieu ce que j'aurais aimé que ça se passe vraiment comme ça. Quand ma vue s'est précisée, il y avait des gens au dessus de moi, qui me regardaient. Des infirmiers, des médecins. J'ai compris que ce n'était pas un rêve. J'avais vraiment vu ma mère, le crâne en sang, morte, à côté de moi. J'ai pleuré, pleuré, et encore pleuré, sans rien dire à personne. Pourquoi, pourquoi moi je ne m'en étais sorti qu'avec une minerve et un sale mal de tête, alors qu'elle...
Quand je suis sorti de l'hôpital quelques jours après, j'avais décidé que je m'en sortirai. Que je ne me laisserai pas abattre, elle m'avait appris à être fort et à survivre à n'importe quoi. Alors je me suis investi à fond dans mon Bac, et dans mon travail. J'allais vois des psychologues. Le problème, c'est qu'à côté de ça, j'étais seul. Vous savez bien, les gens sont là quand vous êtes de bonne humeur, mais lorsque vous êtes anéantis, plus personne est là. J'ai commencé à avoir de mauvaises fréquentations. Au début, c'était boire, de temps en temps, fumer. Du LSD par ci par là. J'ai raté mon Bac, j'ai perdu mon boulot. Alors j'ai commencé à dealer, pour continuer à payer l'appartement. Je ne voulais pas perdre tout ce qui me restait d'elle. Et forcément, à dealer, on tombe sois-même dedans. héroïne, cocaïne, et la dépendance qui s'installe. On laisse tout tomber, et on se perds, on a plus envie de rien. A vingt-cinq ans, j'ai perdu l'appartement, je me suis retrouvé à la rue, à sniffer et à me piquer. L'argent que j'avais en dealant, je le dépensais dans des drogues. C'était devenu ma carapace, tant que j'étais défoncé, je pensais que rien ne pouvait m'arriver, j'oubliais ce mal d'avoir perdu ce que j'avais de plus cher, j'oubliais que j'avais le cœur en charpie.
Je suis resté quatre ans à vivre dans la rue et à squatter chez qui le voulait bien. Comment je me suis rendu compte que c'était pas la vie dont ma mère serait fière ? Et bien, croyez le ou non, je sais que c'est ridicule. Mais c'est grâce aux animaux. Un jour, alors que je trainais dans la rue, j'ai croisé une petite boule de poils, un chaton, maigre, sale, malade, qui allait surement mourir dans la semaine. Je me suis vu, une âme errante, perdue, qui a juste besoin qu'on lui tende la main. Qui ne demande rien de plus qu'un peu de nourriture et de l'affection. J'ai pris la bête dans mes bras, je l'ai blottie dans mon cou. "Tu n'es plus seul." J'ai commencé à acheter moins de consommation, j'ai soigné cette petite créature, et je suis parti en Italie, sur les traces de ma mère. Je ne voulais plus de ce pays, de ces souvenirs. Je voulais recommencer ailleurs, où personne ne me connaissait. J'ai trouvé un petit studio en Florence, certes piteux, mais je n'étais plus dehors. Et je logeais cette petite créature, qui me faisait me sentir mieux. Je me suis mis a héberger chaque animal errant que je trouvais. Je cherchais à les faire adopter, mais ceux dont personne ne voulait, je les gardais. Et j'ai même retrouvé un petit boulot, je suis éboueur. Rien de bien splendide, mais ça me permet de payer le loyer, et d'avoir complètement aboli le deal de ma vie. Même si je suis encore accro à la cocaïne, j'essaye de me reprendre en main. Après, ce qui arrivera...
Advienne que poura
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