elijah ◇ onnellisuus maanpaossa

« Lijian, c'est ça ? » Le regard sombre de l'interpellé se posa sur l'homme qui venait de parler. « Commencez pas » En deux temps, trois mouvements, Lijian se retrouva au sol, la main de son interlocuteur lui enserrant la gorge. Il ne lutta pas. « C'est comme ça que tu me remercies ? Je t'ai tout donné. Je peux encore tout reprendre. Je peux tout te prendre. » Suffocant, il ne répondit pas. Nouvelle erreur. « Compris ? » Acquiesçant vivement, il fut enfin libéré et put reprendre son souffle. Il en prit à peine le temps, s'empressant de donner une réponse claire: « Compris. » Joshua sourit. Un sourire presque doux, ce qui ne le rendit que plus effrayant encore. Lorsqu'il eut disparu, Emma, l'une de ses "collègues", à peine plus âgée que lui, vint l'aider à se relever et tenta de la rassurer en lui assurant qu'il ne s’agissait que de menaces, que Joshua ne toucherait pas à ses parents, ni à rien de ce qui lui appartenait. Parce qu'il avait bien trop besoin de lui. Et de tous les autres. Elle n'avait qu'à moitié raison, en effet il avait besoin d'eux, mais il pouvait très bien trouver un remplaçant, à n'importe lequel d'entre eux. « Il t'aime bien, Lijian. Il peut remplacer n'importe qui, mais pas toi. Reste à voir si c'est réellement un avantage... » Emma sourit tristement et disparut aussi vite qu'elle était apparue. Elle avait du travail et, malheureusement, lui aussi...

Dès ses dix-sept ans, Elijah avait totalement disparu de la circulation, et voilà où il avait atterri. Un monde violent, dangereux, totalement différent de ce qu'il connaissait de Liverpool. Sa misérable existence servait désormais à combler le manque d'affection de personnes peut-être aussi désespérées que lui. Personne ne se doutait que ce jeune homme n'était même pas majeur. Ou plutôt, personne ne se posait la question. Joshua l'avait abordé un jour où, en manque, il errait dans les bas fonds de la ville à la recherche d'une connaissance qui pourrait le dépanner. Il lui avait promis tant de choses... Au bout du rouleau mais pas au point de s'abaisser à vendre son corps, il avait refusé et continué son chemin. Mais l'idée implantée dans son esprit par Joshua n'avait fait que prendre de l'ampleur. Elle s'était transformée en obsession et, un jour, il s'était présenté là où il ne s'était jamais imaginé aller. Le lendemain, ses parents appelaient la police pour signaler sa fugue.

Un chuchotement réveilla le britannique en sursaut, et il riva son regard sur... Emma. « Qu'est-ce que tu fais là ? » Elle était allongée à côté de lui, le regardant un peu comme une mère foudroie son enfant du regard lorsqu'il fait une bêtise. « Qu'est-ce que t'as foutu ? » Elle désignait son poignet, qu'il ne regarda même pas. « Tu fous quoi dans mon lit ? », répéta-t-il, lui arrachant un soupir. « J'arrivais pas à dormir. T'as foutu quoi à ton bras ? » Baissant finalement les yeux sur le bras qu’elle tenait fermement, il détailla les cicatrices de blessures qu'il s'était lui-même infligées. S'il n'y avait eu que cela... « Rien. » Il dégagea vivement son bras et se tourna pour mettre fin à la conversation. « On me la fait pas. » Elle n'avait pas l'intention de le laisser tranquille, mais il était au moins aussi têtu qu'elle. « Ça t'regarde pas Emma, ferme-la et dors. » Il la sentit se rapprocher, et elle passa un bras autour de lui. « Elijah... Tu dois pas faire ce genre de truc. Tu peux pas te détruire comme ça. Si tu ne tiens pas pour toi, fais le pour moi. Je tiens à toi. J'ai besoin de toi. Je peux pas faire ça sans toi, t'es la seule personne qui soit gentille avec moi. Et ça compte beaucoup. » En deux ans, elle était la première personne à l'appeler Elijah. La première qui le fasse se sentir important, la seule qui se préoccupe véritablement de lui. Pivotant, il la prit dans ses bras et ils s'endormirent ainsi.

Lijian enfilait son pantalon lorsque la porte s'ouvrit violemment. Il eut à peine le temps d'attacher sa ceinture, déjà Joshua fondait sur lui tel un aigle sur sa proie. Comme cet homme était parfaitement incapable d'avoir une conversation sans pousser, frapper ou étrangler son interlocuteur, il lui enserra la gorge comme il le faisait si souvent, et Lijian ne broncha pas. « Tu viens avec moi. Je pars à La Paz et tu viens avec moi. On s'en va demain, rien que toi et moi. Sois prêt à deux heures, et pas de bêtise. » Sur ce, il quitta la pièce, abandonnant le jeune homme à ses interrogations. Il avait perçu une sorte de crainte mêlée d'excitation dans la voix du mac, cela ne présageait rien de bon. Partir en Bolivie n'était pas dans le contrat, mais il se voyait mal refuser. Il avait beau avoir compris, après deux ans, qu'Emma avait raison et qu'il l'aimait bien, il craignait toujours pour sa vie et celle de ses proches. Anciens proches. Il venait d'imprimer que La Paz signifiait ne plus jamais revoir sa famille, et ça faisait mal. Il n'avait aucun contact avec eux depuis sa fugue, mais il les avait vu, ou plutôt espionnés dans leur petite vie tranquille. Ils semblaient aller mieux, son départ leur avait au moins ouvert les yeux sur leurs énormes problèmes. Dommage qu'il ait fallu en arriver là. Il aurait souhaité retourner vivre avec eux, ne serais-ce que pour une journée. Il aurait tellement voulu goûter à une vie de famille normale, sans bouteilles éparpillées dans la maison, sans anti-dépresseurs, sans hurlements... Il ne se doutait pas que la suite serait bien pire que tout ce qu'il avait pu vivre à Liverpool. La prostitution, la peur, la douleur, les mutilations, l'alcool et la drogue pour oublier ses problèmes; ce n'était rien.